mercredi 16 décembre 2009

Si…

Les anses du fleuve, des flots d'histoires dispersés dans l'imperturbable remous, et ton ventre, ton ventre allongé face soleil, qui ne bouge pas.

Il aurait plu tout le jour, le ciel serait une lourde masse sombre, d'un noir soutenu mais irréel, presque violet, avec de longues balafres de brume ; la lumière rasante et chaude colorerait les vitres des immeubles, les couvrant généreusement de longs baisers carmins, poudrés d'or.

Il y aurait la ville au loin, son intraduisible cacophonie devenue simple rumeur, la ville que tu aurais quitté pour me rejoindre.

Je sentirais ta main hésiter, dans mon cou, là où la peau est douce et tendre, fragile. Tu t'étonnerais de cette sensibilité nouvelle, de mon pouls battant sous tes doigts, puis tu balaierais le monde et le temps d'une simple inclinaison des paupières. Et ma vie, suspendue, serait toute entière dévouée à tes mots.

Tu me parlerais de ton pays, de hauteurs et de lampes rouges, de tours et de longs rubans d'asphalte, tu parlerais longtemps, mêlant au son de ta voix, celui, plus lointain, d'un accent ancestral, pétri de cents milles bouches, surgi de l'antre du monde, de l'origine. Tu chanterais, glissant sur les « s », les « r », embrassant presque les voyelles au moment où elles sortiraient de toi pour éclore au cœur de tes incroyables récits.

Des légendes oubliées, tu inventerais avec ton souffle, avec tes mains, tu dirais l'enfance de la terre, l'ignorance et le don, la mémoire d'un peuple, la bohème et la vie merveilleuse, les chemins de pierre et les temples perdus, les amours confondantes et les marquis déchus, les montagnes l'errance, et puis les palais byzantins et leurs harems cachés, l'océan mer et les grottes où nagent des sirènes, le vent, les feuilles et le bois qui brûle, les routes escarpées, les royaumes ensevelis, l'automne, la mort.

Après ça, l'air épuisé de tes poumons coulerait en un mince filet, et avant que tu n'expires tu puiserais en moi ta nouvelle respiration. Ton inspiration. Cueillie à bout portant ; à bouche, aimante. Sur mes lèvres une empreinte, comme la saveur délicate des mythes disparus, résonnant, encore, encore, à mes oreilles touchées. Ta bouche.

Un troupeau d'étoiles filent vers l'Orient. Je ne dis rien, mes cris s'enrouent et ma main tremble un peu lorsqu'elle touche le sol.

Il y a le monde, et puis ton absence. Les anses du fleuve, les remous bouleversés, les courbes, le vacarme des eaux. Allongée, j'attends que le rêve devenu liquide vienne s'épancher dans le réel.

Allongée, la tête renversé : comme si de cet écart le sens pouvait naître, et la lumière.


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