lundi 30 novembre 2009

Vide

Vacuité.
Naître phœnix et n'être que cendres. Quand tout retourne. Au monde, à la terre, à l'en-deçà. Comme s'il y avait une dette, à rendre. S'amoindrir.
Tout va disparaître.

Toucher vos joues, vos mains, tout ce qui est encore palpable, tangible, doux et chaud ; non éternel. Comment penser l'impensable, la mort du vivant? Oxymores inconsolables, et mes doigts qui s'attardent, pour ne pas oublier. Alors même que la mémoire strangulée par le temps sera effacée, piétinée sous les amas blancs du grand sablier.

Marcher. Essuyer la poussière en talons. Les néons du métropolitain, un air blafard que l'accordéon tsigane n'arrange pas. Et les jardins, les tumeurs, toutes ces fleurs sur le plâtre du métro, qui s'étendent et puis cloquent, brunes et épaisses, dans les couloirs infinis. Les cicatrices de l'âge, dans les tunnels que l'on arpente à l'aube ou pour apaiser nos ridicules insomnies, un verre ou deux, se noyer dans ses vers ou les chroniques régulières, marcher silencieusement, rythmant sous la courbe de faience ces pas de passant égal.

Il n'en restera rien. Ni vos marches régulières d'hommes pressés, ni les déambulations éperdus des étrangers de minuit, ni la tiédeur d'une paume, d'une poésie pressée, d'un œil clos, il n'y aura rien, après.

Tout s'écoule et se perd.

Vacuité.

Alors dans l'espace d'avant la mort, sur cette plage de répit, que va-t-on mettre, que peindra-ton?

samedi 21 novembre 2009

( sarabande)

what can I tell you my brother, my killer
What can I possibly say?
I guess that I miss you, I guess I forgive you.

vendredi 20 novembre 2009

Insomnia

A nouveau demain il te faudra te lever. Tu n'auras pas dormi, dans ta tête ce large trou, les derniers spectres de songes abandonnés, noircis de cendres et résonnant encore des menaces de la nuit.
Tu n'auras pas dormi ou peut être quelques trop rares instants, avalée dans une affolante spirale, mangée de fièvre et de ce grand désastre.
Il te faudra t'appuyer contre la table, simplement pour tenir debout. La mécanique des jours, et la plainte, et l'horloge dans sa nudité d'objet immobile.

Le temps atteint le cœur des choses.

Tu sors, muette. Le balcon devient alors le dernier jet de pierre avant la mort. Le balcon : cette élancée solide, juste au dessus du vide où tu voudrais te jeter, comme une égarée, une folle, comme un poids de chair, déjà morte ; une vacuité, c'est tout.

L'histoire se défait. Les portes s'enfoncent sous les coups du sort, et grincent tristement. Le bois seul sait encore la vérité des pleurs et l'innocence.
Tu ne bouges pas. Une nuée de rêves mutilés se déposent sur tes bras nus. Et te rongent, te dévastent, sans jamais que le sommeil ne te soulage de tes maux. Il t'a fallu, sans le savoir, désapprendre la longue chute des paupières, gracieuse et cent mille fois reprises.
Brisure ; ta peau se retourne et le sang palpite, brûlant. Tu ne supporte pas l'absence, dessine d'improbables cercles sur le blanc insolite des failles de cette vie.

Sabordes l'existence. Ce qu'il en reste : si peu. Rien ne vaut, non , rien ne vaut l'informulable folie d'amour. Et se déplient doucement les veilles de souffrance, les matinées errantes de lèvres en soupirs, et les craintes amadouées, les déserts, les longues plaines qui portaient ton nom ce poème, tes tout derniers murmures...

Insomnie. Les méandres d'un fleuve noir qui t'enserre la gorge, c'est une corde de chanvre, tu ne respires plus, la nuit s'éloigne dans d'obscures cargos, il pleut, la ville chiale, salement maquillée des lueurs de l'aube, pastel, tu meurs, je te meurs.
Asphyxie...

Le parfum de la perte. Tu voudrais écrire sur le chagrin, alors tu restes des heures, face à la page blanche, droite comme le clou qui t'arrache le ventre l'âme l'enfance, tu restes droite pour cacher encore que le monde s'écroule, je veux dire à l'intérieur.

Et c'est encore la nuit, il fera tout le temps nuit sur toi désormais, et ton monde flottera dans des caves humides et des barques sans fond. Tout sera brume.

Tu fixes le mur en priant le sommeil, comme s'il s'agissant d'un Dieu ancien, trônant sur une Olympe fantasmée et légère, un Dieu aimant qui pourrait t'absoudre d'un geste réconciliateur, et laver tes péchés et laver ta souffrance.

Mais tout se dépeuple. Dans tes bras tu bercent tous ces morts, tous ces morts qui n'ont que nom d'un seul.

Une dernière cigarette. Toujours, la dernière. Le dernier souffle de la dernière heure ; l'ultime consomption. Ton visage se creuse, c'est une ombre que ma mémoire déjà ne saurait distinguer.

I can't breath anymore.

Alors à mon tour, je trace des cercles dans l'infernale ronde du manque de sommeil. Du manque, indicible, de souvenir de toi...



mercredi 18 novembre 2009

Le Chien Andalou

J’ai la main poisseuse. Dedans je n’avais pas vu, ton image ta voix ton passé , comme une torture une redondance, qui me déchire les tendons et les muscles, comme une courroie étirée entre les organes soumis au coups de pioche, de cuir et de peur.
Une obsession. Obsession de toi. Teintée de douleur, évidemment ; je suis comme ça.


Une main trouée. Des fourmis peut-être. la mémoire grouille, mille idées de ton visage. Ô, amours chiennes, qui nous laissent la gueule cassée, les tripes acrobates et les pianos en l'air, l'air malheureux et sombre seuls assis sur le bord des trottoirs désertés.

Une obsession, comme le fantôme d’un meurtre commis à l’aveuglette, d'une vengeance hasardeuse. J'étais, moi, la criminelle en habit de satin, proche du mort, le menton dans la plaie, ce précipice nouveau, inédit, le menton étonné de se voir tâché par l'humide sang d'encre d'une nuit de Lune.

Macchabée à la beauté si sublime que ses yeux vides et menteurs me hantent. Les bulles blanches de ce que le mort ne dira plus. Fixité, et paresse de l’âme.
Son indifférence ; ce crime là. Souvenir de l'écume, à mes lèvres repentantes.

L’odeur du mort aimé plante ses griffes et sa bouche dans les mollesses de l’âme, là où les sentiments les plus tendres viennent poreusement s’échouer. Écume de l’écume d’un souvenir.

Entre ses canines, un peu de toi, de ta représentation, maudite ou fanée, idéale ou trichée. Peut-on mordre l’image, la déchirer de ses dents à peine des crocs, la pleurer et la tordre comme un vulgaire mouchoir de papier, quand on voudrait d’une menotte agile agiter un peu de dentelle blanche par la fenêtre d’un train qui s’en va, qui ne cesse de s’en aller…

Ce serait ça, le dessin de la tristesse de l’autre, celle sur le départ, celle qui est loin, en ces terres d’orient que je ne saurais imaginer sans débris de passion. Ce serait l’image parfaite de cette main qui étend le souvenir futur le long de la ligne de chemin de fer, traçant virtuellement le lien qui te relie à elle.

L’invisible est solide, rien ne l’entrave. Alors que ces pauvres petits nœuds que je tente naïvement de tisser entre ton ombre et mon sommeil, c’est la vie même qui les polit, dans les remous réguliers de ses plus lourdes vagues. Des périodes, que l’on nomme minutes, heures, jours, semaines ; on ânonne les mois qui s’égrènent , en arrachant consciencieusement les pages du calendrier comme une enfant trop sage, et au fur et à mesure de ces déchirements – du papier, pas du cœur- l’attente si terrible s’allège et se colore, et la mélancolie devient ce chant suranné, surgi des temps lointains, et les marins perdus meurent en souriant au bras des belles sirènes.

L’histoire s’arrête là, faute de temps, faute d’idée. la légende ne dit pas le nom de celle.

Des fourmis.

Il n’y aura rien d’autres que la trace d’une étreinte , d’un porche et d’une lune pleine – d’une scène inventée, parfaitement cinématographique il disait- dans la mémoire de celle qui raconte.


Il n’y aura rien de plus que cette main poisseuse, hésitant au point virgule ; et la nausée arborant, avec insolence, ses airs de paria.

Rien de plus qu’une main, trouée d’un visage. Un fourmillement.


- une obsession -

mardi 17 novembre 2009

Rendez vous.

Elle n’est pas venue. Il s’enfonce dans les rues désertes et grimpantes, pour que le chagrin un peu sous ses pas se dépose, décolle toi de moi la peine, décolle toi.

Il marche et son souffle s’épuise, grince comme un archer qui se tend dans la main malhabile d’un marmot de huit ans. Le bruit de l’usure. Il s’arrête, les poumons sifflent et le train passe deux fois, il sent que la vie expire un peu au bord de ses lèvres que le froid marque d’une empreinte éphèmère, et surtout, qu’elle n’est pas là.

Il tire du ciel vaporeux d’un blanc fané d’improbables rêveries, qui l’éloignent de l’attente obstinée d’une femme. Le long de l’allée centrale, les vieux arbres du parc sont des oreilles compatissantes, tendant leurs branches comme autant de bras consolateurs. Des chênes centenaires, l’histoire du monde avec tendresse.

Leurs noirs contours élancés dessinent de brèves silhouettes sur la peau pâle du ciel, et les formes se recomposent et se meurent, des spectres, des feuilles, se balançant ensemble sur l’air triste du vent d’hiver.

Il titube, s’accroche à son nom d’infernale absente. Il en crache les syllabes, le souffle brisé, métallique, avec le jus de sa salive qui brûle les voyelles. Alors il démonte l’histoire de ce nom-là, sa mécanique sonore, son écorce, ses saveurs acides et mouillées. Il est seul dans l’impasse et il crie, les mains levées.

L’alcool rend fou on lui a dit. Il commence à faire nuit, il reste là sans bouger. « Éveillé, dressé dans le noir, parmi l’absence de tout le reste ».

L’abondance des toits, sur leurs têtes, des pentes de tuiles et d’ardoise, des toits infinis sous lesquels s’endorment les inconnus familiers. Une incidence, un rayon qui traverse le marais des cumulus pour venir se poser sur le bord d’une fenêtre. Tout n’est que bord, limite, séparation.

Il rêve d’un monde où tout communiquerait, où les choses, les sphères, les idées, seraient mélangées, ensemble, en fusion. Où tout pourrait se fondre.

Il rêve de se fondre en elle.

L’ombre aux réverbères s’allie, en découpe de noirs variés sur le visage du passant courbé. Son dos, sous le frêle manteau de laine, accuse la fatigue. Mais il avance, encore, péniblement. Ses mains se meuvent comme deux grands oiseaux blessés cherchant l’envol. L’équilibre précaire, d’une jambe sur l’autre ; la pénible ronde du solitaire, qui sans but fait sienne la première ruelle qui se donne.

Une petite fontaine, un ange crache une eau si pure que l’on dirait des larmes. Il éponge alors son propre chagrin dans les flots transparents de la peine divine. Et puis il boit, avide, il boit la tête penchée sous les petits bras potelés de l’enfant de Dieu.

Là bas des néons bleus. L’océan virtuel d’une promesse, qui clignote, qui ondule, sublime vestale en habit de lumière. Il a bu, son esprit change les formes en démons et les démons se gonflent de ses fantasmes maudits.

Il entre. Une porte lourde, deux battants. A l’intérieur il fait noir, il fait chaud, la lumière se déplace en petites vagues de couleur sur les visages paisibles de ceux qui regardent, immobiles et ensemble. Alors soudain, elle lui semble vaine l’attente d’une femme, d’une unique femme, et attiré par la chaleur des corps communs, il voudrait leur dire qu’il est là, qu’il est arrivé, qu’il ne fuira plus.

Personne ne bouge, et les marées de lueurs continuent leur danse hypnotique. Il s’assoit, avalé par le velours vert qui embrasse tout son corps.

Ses yeux, face à l’écran. Ses yeux sont de pétrole et d’étain, ils s’emplissent d’images et oublient. Des puits où la mémoire trépasse.

L’histoire le fascine. La scène se passe le soir. La brume mauve du crépuscule. Une jeune femme surgit, essoufflée. On ne la voit que de dos. Les mains appuyées sur l’aride crépi du mur, elle respire, longuement. Puis elle s’agite, les mouvements de son corps indiquent qu’elle hésite, semble chercher quelqu’un…

Lui, sur son siège de velours, au fond du cinéma, contemple avec compassion cette fille troublée. Sa peine le touche. Elle court, dans l’allée d’un grand parc. Les ruelles se succèdent, montent, tournent. Un labyrinthe. La caméra suit de près cette poursuite folle, chutant avec elle quand la jeune femme s’écroule de fatigue sur le pavé, les épaules agitées par de petits soubresauts qui trahissent son épuisement. Le doux froissement de sa robe, lorsqu’elle se relève. Le bruit de l’espoir. Et toujours la courbe du dos, qui envahit l’écran.

Elle marche, les mains serrées le long de ses hanches étroites. Long travelling. Pour la première fois, on l’aperçoit de face, avec peine. Les toits penchés ombrent son visage.

Sous l’étirement doré des réverbères, elle se retourne, change de sens. La caméra la suit ; son dos, dans la veste claire, comme une obsession. Elle avance, s’obstine. Il la regard courir, les cheveux dénoués. Elle cherche quelqu’un. Le gémissement d’une fenêtre restée ouverte, oubliant le vent et le gel. Comme la voix d’un fantôme en pleurs. Je ne puis rien sans toi.

Elle tremble. Sa marche s’accélère, sous le ciel qui devient noir et violet, traversé par les promesses d’étoiles. «En chasse ! Cours après qui t’anime ».

Elle tourne, débouche sur une petite place. Une fontaine. Elle s’approche. Un ange. De l’eau par sa bouche.

Il voit. Enfin. Ses yeux s’écarquillent. Il la reconnait, et ses mains d’oiseaux crispent leur bec sur le bord du fauteuil.

Elle se penche pour boire.

Il reste immobile, comme pétrifié.

Elle se retourne. Son visage un océan, sous la marine des néons qui clignote. Elle avance vers la lumière.

Il ne bouge pas. Un stylet de fer dessine d’improbables poèmes dans sa poitrine déchirée. Son souffle à nouveau s’épuise. Un mince filet d’air, une agonie.

Elle pénètre sous le porche de pierre.

Il se lève, pâle et secoué par ce souffle qui lui manque.

Une image, obsédante. Les grands chênes centenaires. Le velours vert. Le crépuscule. Comme si le poignard d’une manche allait surgir.

Elle, face aux portes battantes encore closes. Hésitante.

Lui, juste de l’autre coté du seuil. Il a peur, peur de sa folie possible. De la continuité des parcs.

Il rêve d’un monde où tout communiquerait, où pourrait se fondre, se prolonger. Il rêve de se fondre en elle.

Elle, lui. Un paroi double le sépare. La fin d'un jeu. Elle va le tuer et il se sait. Il connait l'histoire.

Alors, amoureux, il pousse le battant et s'offre à elle.

lundi 16 novembre 2009

"Si j’avais connu Nefta.."

Nefta, Nefta..
Libre, insoumise, dans la poignée de sable que le souffle disperse. La jeune fille déplie sa chevelure d'argile, et ses paupières sur ses yeux noirs s'écroulent avec pudeur ,comme les pans de murs qui sont chairs mortes quand la nuit survient. Elle porte le nom de la ville, elle porte son histoire. On l'a trouvé ici, dans la terre saoulée de pleurs, au cœur de la cité Numide.
Elle est Nefta, fille de la ville, sans histoire et sans tribu. Nefta longue et brune, les yeux bercés de pluie et la robe défaite, à peine couverte par le long voile qu'elle à tissé, d'insomnie en insomnie.
On ne la voit pas femme, elle est poussière. Nefta la ville, Nefta l'enfant.

Le siroco. Le chant du ciel qui se brule, et consume la peau salée de Nefta assoupie. Elle dort, cils courbés, les mains ouvertes, tendues vers le désert qui l'appelle.
Nefta n'a pas d'histoire.

Tout son corps est un chant, un psaume qui répond à l'appel du désert. Sahara. Immense et vide, la voilà qui se sent dispersée comme le sable dans la paume de Safa, le soufi aux prunelles mangées de soleil.

Il n'y a avait rien avant toi Nefta. Tu n'as pas d'histoire.

On a trouvé l'enfant dans un linge blanc, nue et légère, au pied du plus haut palmier de la ville. Tu seras Nefta, a-t-on dit. Et la fille grandit, le cuir des souliers s'élime et les vêtements laissent voir le jour. La peau mirabelle aux reflets d'astre pourpre devient courbes et délices, rosit et s'étrangle dans les coins, aux coudes, aux genoux, là où les désordres d'une croissance trop rapide ont poussé le tissus. Nefta rougit de ces formes nouvelles, cache ses candeurs de femme fatale au sortir de l'enfance, natte ses cheveux lourds sous l'humble foulard, empêtrée et gracieuse, roulant des hanches lorsqu'elle porte la cruche de terre, et que l'eau qui déborde mouille son ventre, en révélant alors peu à peu la troublante géographie.

Nefta tu n'es pas de notre clan. Elle dissimule son manque de passé sous des pudeurs de vierge, mais ces douceurs ne comblent pas les insolences de l'Histoire. Pas de racines pour celle qui semble être tombée de l'arbre, pour celle qu'on trouva endormie à l'ombre de la palmeraie.

Nefta la ville, rien d'autre que cet espace clos, qu'une existence vouée au cercle et à la disparition. Tu ne laisseras traces, les murs tomberont en volée de poussière, et toi Nefta tu t'effaceras de nos mémoires.

Elle marche, penchée, prisonnière d'un sursaut de l'Histoire : c'est un fauve blessé aux fond du grand ravin aride. Sur ses flancs esseulés, les ruisseaux pleurent, comme pour consoler Nefta de cette sècheresse originelle.

Il n'y avait rien avant toi Nefta. Tu n'es pas de la tribu.

Et pourtant ma Nefta tu es aussi Nysa, la nymphe des grandes mythes, la belle et l'introuvable. On ne sait où tu naîs toi la terre de Bacchus, on ne sait plus rien aujourd'hui. Absence. Nefta fait son lit dans l'oubli, dans le chagrin et le silence.

On ne se remet pas de la perte des origines.

Alors Nefta creuse, creuse les mains nues, dans le sol, dans le temps, creuse sans une plainte, et embrasse le sang qui perle sur ses poignets écorchés. Comme s'il y avait, dans le mince filet sombre et rouge, l'irréfutable preuve de son lignage, de son passé.

Elle couvre son visage de terre et de sang. Regardez moi, semble-t-elle crier, mais les seuls spectateurs de sa folie sont les arbres et le vent. Regardez moi. Mais personne n'entend.

Nefta pousse un cri et c'est le désert qui surgit. Son mumure s'enroule autour du corps ployé de Nefta, et lui chante, à l'oreille : Nefta tu es la ville des sables, l'impensable fécondité des immenses steppes, la semence réjouie née des amours du ciel et de l'infini, l'union sublime du Sahara et de ses rares larmes. Nefta ne te lamente plus. Tu es le sable, tu es la pluie. Nefta...

Non Nefta tu ne viens de nulle part, car tu es l'improbable lueur d'un miracle. Et nous t'aimons Nefta, tu es le nid de nos errances, l'oasis et le temple, le refuge des marcheurs épuisés, le baiser qui épanche la soif des marchands, l'étoile tant priée, qui offre l'ombre et l'espoir aux nomades perdus.

Nefta, Nefta, Nefta... ô, si je t'avais connu, Nefta.

vendredi 13 novembre 2009

L'offense à Mae Khong

Indécence.
Ne pas lui plaire.
Tirer ce bas noir et velours, cette main brune de tissu à peine, qui monte au genou,
et puis déballer les chairs sombres et roses aux plis, comme un secret trahi violé.

Une descente
de la ligne du cou au lit du fleuve encore éteint, là entre les frêles collines souples où coulera bientôt l'oued secoué de vos salives désapprises.

Dépendance,
de la surface courbe et pétrie cent fois, là où tu viens te perdre en cheveux et en parfum, sans parure et sans masque tu cries son nom de Venise.

Incandescence.
Ce qui brule la paume écœurée d'être encore saisie par un ventre nouveau, ce ventre apparu en grotte rouge et tremblante et douce, sous la dentelle déchirée devenue la dernière absente.



Tu t'éloignes de la plaine du Mékong, dans cet étirement où la veuve noire te maudit en silence, mangeant le pain rongeant le fer, à peine debout sur les eaux calmes.

Il n'y a pas de mot pour toi,
et à l'infini elle retire ses bas la jeune fille nue ; et ses yeux se perlent des fleuves méconnus de toi.
Tu ne reconnais rien.

Le vent s'acharne à envoler ces pleurs.Tu ne la reconnais pas.
Tu n'entends que ses mots qui résonnent et qui claquent :
Sông Cửu Long, Sông Cửu Long, Sông Cửu Long.

C'est comme le chant des âges, des pères et des pays, des milles pays traversé de son lit, bercés de ces eaux.

et l'écho de sa voix porté dans ton ventre douloureux,
te revient, te hante :
Sông Cửu Long, Sông Cửu Long...

Elle n'aura pas eu d'autres mots la jeune fille.

A genou elle implore : Mae Khong,
ô Mère de tous les fleuves,
pardonne mon offense.
et dans sa nudité de terre elle disparait,

te laissant seul et désemparé.

et le souvenir du crime étrangle ta solitude.

mardi 10 novembre 2009

le cahier vert

Parler pour ne rien dire, accoupler les phonèmes comme on marie ses propres enfants, quand on se fait vieux et que le pain manque. Il n'y a pas de sens et il n'y en aura jamais si tu n'ouvres pas ta porte, folie.

Sur le seuil, muette et le souffle court, j'observe longtemps la silhouette qui se détache, parmi les ombres ployées sur des pupitres claires.

Sur un cahier, la fille penchée trace des courbes, avec l'application d'une écolière. Je la devine : parfum sucré, cheveux, vertiges d'une épaule dénudée que le pull évanoui sur la taille laisse deviner.

Silencieuse, sur la pointe de mes souliers vernis, j'avance vers elle. Je me penche, et à travers la forêt blonde et douce de ses cheveux lâchés, je lis ce qu'elle vient d'écrire:

Poème-amour, utopique lubie...


Je ne saurais répondre. Et ce sont ces mêmes détroits que le navire de ma pensée traverse. Sœur d'inconstance et des élans du cœur, je te salue d'un signe, et te laisse à tes émois.


Sans une idée, sibylline, j'espère.
Attente : miracle obscur?
Un rêve est une simple errance.

Dériver, encore...


Terreur, ou ivresse?

jeudi 5 novembre 2009

Cours

A la maudite manie, coriaces qu'ont les jours,
inlassablement de se défaire, et passer,
et mourir ;
parfois je ne sais que répondre.

Trouver
quelque chose,
quelqu'artifice,
pour enrayer la vieille mécanique,
et réduire en cendres en hivers,
en fleur d'oubli peut-être
ce thème persistant du temps qui passe.

Ou bien reste-il, lui, grand immobile,
le Temps,
debout en toile de fond,
farceur immuable,
pendant qu'en file nous marchons,
les plus jeunes à la suite des anciens,
tête de plus en plus haute,
et puis de plus en plus basse,

pendant que nous marchons,
avalés par la propre course soumise de nos vies.

L'existence comme une courbe
la courbe de tes yeux
bleue, ronde
la courbe des tes hanches
-de tes mots murmures-
et celle encore sauvage de la première majuscule,
de ton nom, de ton joli nom.

la courbe de la Terre,
matrice bossue mais belle ô belle
mangée un peu de nos erreurs,
de nos divins appétits,
des plus grossiers, aussi.

Pauvres petits Dieux de paille,
qui jouent aux vilaines bêtes,
se font une Olympe de pacotille
de luxe de strasse de brindilles
jouent, scène et lisse,
quand ils ne sont que
des bêtes.

L'existence comme courbe,
je veux dire comme virage
ce que tu laisses ce que tu vires
chat.

Vire.

ce qui tangue dans ces déserts là quand l'écume
quand l'écume est mousse de ta barde vieille et grise,
quand l'estuaire n'a plus que le nom d'un mort
que les navires au sable roux coulent leur tombe
pour dernier sacrement.

et que tu marches dans cette poussière là
la fumée blanche du grand vide.

Courbe, l'existence,
quand la vie se ploie sous les sacs de chagrin,
de ciment-songe,
de plomb de pluie et de rien.
ça ira ça ira tu tiens
tiens la main du vent,
qui souffle sur la mémoire des morts...

mercredi 4 novembre 2009

et crie...

L'imminence de l'écrit.

Il y a de la vigueur, un poids, une certaine tension de l'âme qui, en coulisse, se prépare à se saisir d'un désert, d'un espace extérieur à elle-même, et pourtant concomitant.
C'est le prolongement silencieux d'un grand cri - grito, et l'on entend jusqu'au crissement de craie - longtemps confiné, épris de ses cloisons et pourtant haïssant sa frustre geôle, pauvre cri voué à côtoyer la palpitation de cœur la palpitation et le poulpe du sang pas encore rouge.
C'est ce cri, physique, ce glapissement de noyé, qui vient soudain au jour. Il n'y a pas de prescience de l'écrit, on ne programme ni ne demande aucun trajet dans la langue, j'entends par là itinéraire, trajet précis avec lignes blanche et sèche, délimitation.

L'écrit frôle la perte, en maraudeur des territoires de la non-conscience, comme ils disent, il abandonne la raison, se lance en page. Le voilà phrasé, aphone mais déposé, et c'est par incidences, par exodes des mots ou miracles du verbe que des îlots de sens ou de folie se forment, et que la mer du monde-poème trouve, enfin, l'état liquide originel.

La fonte des glaces sonores, et ses stridences de neige . En offrande elles proposent leurs engelures, radeaux maudits en dérive sur le cours pâle du roman-fleuve ; comme la trace creusée d'une tristesse de poudre, qu'à l'aurore on dissipe dans les flots.

Car la langue coule.

Elle cogne, aussi, bien sûr, vibre et arrache et pioche, crible des voyelles et trépane et violente. Fracasse et délie.

Lasse, elle s'écoule et se pointe. Membres cloués, a verbale.

Alors au zénith la marée morte se retire...