mardi 17 novembre 2009

Rendez vous.

Elle n’est pas venue. Il s’enfonce dans les rues désertes et grimpantes, pour que le chagrin un peu sous ses pas se dépose, décolle toi de moi la peine, décolle toi.

Il marche et son souffle s’épuise, grince comme un archer qui se tend dans la main malhabile d’un marmot de huit ans. Le bruit de l’usure. Il s’arrête, les poumons sifflent et le train passe deux fois, il sent que la vie expire un peu au bord de ses lèvres que le froid marque d’une empreinte éphèmère, et surtout, qu’elle n’est pas là.

Il tire du ciel vaporeux d’un blanc fané d’improbables rêveries, qui l’éloignent de l’attente obstinée d’une femme. Le long de l’allée centrale, les vieux arbres du parc sont des oreilles compatissantes, tendant leurs branches comme autant de bras consolateurs. Des chênes centenaires, l’histoire du monde avec tendresse.

Leurs noirs contours élancés dessinent de brèves silhouettes sur la peau pâle du ciel, et les formes se recomposent et se meurent, des spectres, des feuilles, se balançant ensemble sur l’air triste du vent d’hiver.

Il titube, s’accroche à son nom d’infernale absente. Il en crache les syllabes, le souffle brisé, métallique, avec le jus de sa salive qui brûle les voyelles. Alors il démonte l’histoire de ce nom-là, sa mécanique sonore, son écorce, ses saveurs acides et mouillées. Il est seul dans l’impasse et il crie, les mains levées.

L’alcool rend fou on lui a dit. Il commence à faire nuit, il reste là sans bouger. « Éveillé, dressé dans le noir, parmi l’absence de tout le reste ».

L’abondance des toits, sur leurs têtes, des pentes de tuiles et d’ardoise, des toits infinis sous lesquels s’endorment les inconnus familiers. Une incidence, un rayon qui traverse le marais des cumulus pour venir se poser sur le bord d’une fenêtre. Tout n’est que bord, limite, séparation.

Il rêve d’un monde où tout communiquerait, où les choses, les sphères, les idées, seraient mélangées, ensemble, en fusion. Où tout pourrait se fondre.

Il rêve de se fondre en elle.

L’ombre aux réverbères s’allie, en découpe de noirs variés sur le visage du passant courbé. Son dos, sous le frêle manteau de laine, accuse la fatigue. Mais il avance, encore, péniblement. Ses mains se meuvent comme deux grands oiseaux blessés cherchant l’envol. L’équilibre précaire, d’une jambe sur l’autre ; la pénible ronde du solitaire, qui sans but fait sienne la première ruelle qui se donne.

Une petite fontaine, un ange crache une eau si pure que l’on dirait des larmes. Il éponge alors son propre chagrin dans les flots transparents de la peine divine. Et puis il boit, avide, il boit la tête penchée sous les petits bras potelés de l’enfant de Dieu.

Là bas des néons bleus. L’océan virtuel d’une promesse, qui clignote, qui ondule, sublime vestale en habit de lumière. Il a bu, son esprit change les formes en démons et les démons se gonflent de ses fantasmes maudits.

Il entre. Une porte lourde, deux battants. A l’intérieur il fait noir, il fait chaud, la lumière se déplace en petites vagues de couleur sur les visages paisibles de ceux qui regardent, immobiles et ensemble. Alors soudain, elle lui semble vaine l’attente d’une femme, d’une unique femme, et attiré par la chaleur des corps communs, il voudrait leur dire qu’il est là, qu’il est arrivé, qu’il ne fuira plus.

Personne ne bouge, et les marées de lueurs continuent leur danse hypnotique. Il s’assoit, avalé par le velours vert qui embrasse tout son corps.

Ses yeux, face à l’écran. Ses yeux sont de pétrole et d’étain, ils s’emplissent d’images et oublient. Des puits où la mémoire trépasse.

L’histoire le fascine. La scène se passe le soir. La brume mauve du crépuscule. Une jeune femme surgit, essoufflée. On ne la voit que de dos. Les mains appuyées sur l’aride crépi du mur, elle respire, longuement. Puis elle s’agite, les mouvements de son corps indiquent qu’elle hésite, semble chercher quelqu’un…

Lui, sur son siège de velours, au fond du cinéma, contemple avec compassion cette fille troublée. Sa peine le touche. Elle court, dans l’allée d’un grand parc. Les ruelles se succèdent, montent, tournent. Un labyrinthe. La caméra suit de près cette poursuite folle, chutant avec elle quand la jeune femme s’écroule de fatigue sur le pavé, les épaules agitées par de petits soubresauts qui trahissent son épuisement. Le doux froissement de sa robe, lorsqu’elle se relève. Le bruit de l’espoir. Et toujours la courbe du dos, qui envahit l’écran.

Elle marche, les mains serrées le long de ses hanches étroites. Long travelling. Pour la première fois, on l’aperçoit de face, avec peine. Les toits penchés ombrent son visage.

Sous l’étirement doré des réverbères, elle se retourne, change de sens. La caméra la suit ; son dos, dans la veste claire, comme une obsession. Elle avance, s’obstine. Il la regard courir, les cheveux dénoués. Elle cherche quelqu’un. Le gémissement d’une fenêtre restée ouverte, oubliant le vent et le gel. Comme la voix d’un fantôme en pleurs. Je ne puis rien sans toi.

Elle tremble. Sa marche s’accélère, sous le ciel qui devient noir et violet, traversé par les promesses d’étoiles. «En chasse ! Cours après qui t’anime ».

Elle tourne, débouche sur une petite place. Une fontaine. Elle s’approche. Un ange. De l’eau par sa bouche.

Il voit. Enfin. Ses yeux s’écarquillent. Il la reconnait, et ses mains d’oiseaux crispent leur bec sur le bord du fauteuil.

Elle se penche pour boire.

Il reste immobile, comme pétrifié.

Elle se retourne. Son visage un océan, sous la marine des néons qui clignote. Elle avance vers la lumière.

Il ne bouge pas. Un stylet de fer dessine d’improbables poèmes dans sa poitrine déchirée. Son souffle à nouveau s’épuise. Un mince filet d’air, une agonie.

Elle pénètre sous le porche de pierre.

Il se lève, pâle et secoué par ce souffle qui lui manque.

Une image, obsédante. Les grands chênes centenaires. Le velours vert. Le crépuscule. Comme si le poignard d’une manche allait surgir.

Elle, face aux portes battantes encore closes. Hésitante.

Lui, juste de l’autre coté du seuil. Il a peur, peur de sa folie possible. De la continuité des parcs.

Il rêve d’un monde où tout communiquerait, où pourrait se fondre, se prolonger. Il rêve de se fondre en elle.

Elle, lui. Un paroi double le sépare. La fin d'un jeu. Elle va le tuer et il se sait. Il connait l'histoire.

Alors, amoureux, il pousse le battant et s'offre à elle.

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