lundi 16 novembre 2009

"Si j’avais connu Nefta.."

Nefta, Nefta..
Libre, insoumise, dans la poignée de sable que le souffle disperse. La jeune fille déplie sa chevelure d'argile, et ses paupières sur ses yeux noirs s'écroulent avec pudeur ,comme les pans de murs qui sont chairs mortes quand la nuit survient. Elle porte le nom de la ville, elle porte son histoire. On l'a trouvé ici, dans la terre saoulée de pleurs, au cœur de la cité Numide.
Elle est Nefta, fille de la ville, sans histoire et sans tribu. Nefta longue et brune, les yeux bercés de pluie et la robe défaite, à peine couverte par le long voile qu'elle à tissé, d'insomnie en insomnie.
On ne la voit pas femme, elle est poussière. Nefta la ville, Nefta l'enfant.

Le siroco. Le chant du ciel qui se brule, et consume la peau salée de Nefta assoupie. Elle dort, cils courbés, les mains ouvertes, tendues vers le désert qui l'appelle.
Nefta n'a pas d'histoire.

Tout son corps est un chant, un psaume qui répond à l'appel du désert. Sahara. Immense et vide, la voilà qui se sent dispersée comme le sable dans la paume de Safa, le soufi aux prunelles mangées de soleil.

Il n'y a avait rien avant toi Nefta. Tu n'as pas d'histoire.

On a trouvé l'enfant dans un linge blanc, nue et légère, au pied du plus haut palmier de la ville. Tu seras Nefta, a-t-on dit. Et la fille grandit, le cuir des souliers s'élime et les vêtements laissent voir le jour. La peau mirabelle aux reflets d'astre pourpre devient courbes et délices, rosit et s'étrangle dans les coins, aux coudes, aux genoux, là où les désordres d'une croissance trop rapide ont poussé le tissus. Nefta rougit de ces formes nouvelles, cache ses candeurs de femme fatale au sortir de l'enfance, natte ses cheveux lourds sous l'humble foulard, empêtrée et gracieuse, roulant des hanches lorsqu'elle porte la cruche de terre, et que l'eau qui déborde mouille son ventre, en révélant alors peu à peu la troublante géographie.

Nefta tu n'es pas de notre clan. Elle dissimule son manque de passé sous des pudeurs de vierge, mais ces douceurs ne comblent pas les insolences de l'Histoire. Pas de racines pour celle qui semble être tombée de l'arbre, pour celle qu'on trouva endormie à l'ombre de la palmeraie.

Nefta la ville, rien d'autre que cet espace clos, qu'une existence vouée au cercle et à la disparition. Tu ne laisseras traces, les murs tomberont en volée de poussière, et toi Nefta tu t'effaceras de nos mémoires.

Elle marche, penchée, prisonnière d'un sursaut de l'Histoire : c'est un fauve blessé aux fond du grand ravin aride. Sur ses flancs esseulés, les ruisseaux pleurent, comme pour consoler Nefta de cette sècheresse originelle.

Il n'y avait rien avant toi Nefta. Tu n'es pas de la tribu.

Et pourtant ma Nefta tu es aussi Nysa, la nymphe des grandes mythes, la belle et l'introuvable. On ne sait où tu naîs toi la terre de Bacchus, on ne sait plus rien aujourd'hui. Absence. Nefta fait son lit dans l'oubli, dans le chagrin et le silence.

On ne se remet pas de la perte des origines.

Alors Nefta creuse, creuse les mains nues, dans le sol, dans le temps, creuse sans une plainte, et embrasse le sang qui perle sur ses poignets écorchés. Comme s'il y avait, dans le mince filet sombre et rouge, l'irréfutable preuve de son lignage, de son passé.

Elle couvre son visage de terre et de sang. Regardez moi, semble-t-elle crier, mais les seuls spectateurs de sa folie sont les arbres et le vent. Regardez moi. Mais personne n'entend.

Nefta pousse un cri et c'est le désert qui surgit. Son mumure s'enroule autour du corps ployé de Nefta, et lui chante, à l'oreille : Nefta tu es la ville des sables, l'impensable fécondité des immenses steppes, la semence réjouie née des amours du ciel et de l'infini, l'union sublime du Sahara et de ses rares larmes. Nefta ne te lamente plus. Tu es le sable, tu es la pluie. Nefta...

Non Nefta tu ne viens de nulle part, car tu es l'improbable lueur d'un miracle. Et nous t'aimons Nefta, tu es le nid de nos errances, l'oasis et le temple, le refuge des marcheurs épuisés, le baiser qui épanche la soif des marchands, l'étoile tant priée, qui offre l'ombre et l'espoir aux nomades perdus.

Nefta, Nefta, Nefta... ô, si je t'avais connu, Nefta.

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